
Il avait passé une excellente journée. Il avait un moral tout ensoleillé. Il respirait la joie de vivre.
Il avait dardé ses feux sur la forêt, fait miroiter la rivière. Il était si joyeux de jouer à cache-cache dans les branches, de réchauffer les oiseaux, de laisser les enfants courir çà et là malgré l’heure tardive.
L’heure passait cependant et les enfants étaient toujours dehors et le soleil brillait.

Le soir venait ; l’horloge de la mairie l’attestait, mais le soleil faisait semblant de ne pas s’en apercevoir.

Elle était comme retenue aux branches des arbres de la place.
Les enfants faisaient rouler leur ballon et s’aperçurent de sa présence.
Ils lancèrent leur ballon le plus haut possible.
Ce dernier toucha presque la lune et celle-ci, toute en rondeur, ne semblait plus si triste. On aurait même dit qu’elle esquissait un sourire et s’était mis un peu de couleur aux joues.
Et le ballon allait haut, rond comme la lune, rond comme un soleil.
Le soleil riait aux éclats, de tous ses feux et se moquait gentiment de la lune qui, mine de rien, continuait de grimper et donnait un peu de son éclat au ciel.
Le soleil se disait qu’après tout, les enfants n’ont jamais eu envie d’aller dormir. Lui non plus, ce soir-là. C’était ainsi.

Il se tournait vers le soleil d’un air courroucé et vers la lune d’un air de reproche. L’heure, c’est l’heure, mais allez expliquer cela au soleil qui a brillé pendant des siècles d’un côté de la terre, puis est allé vers d’autres pays pour les éclairer, et qui tout à coup décide de rester au-dessus d’un village où les enfants n’ont pas envie d’aller au lit et continuent de jouer au ballon tout heureux de l’aubaine !
« Voilà un soleil qui ne fait pas son office » grommela le maître d’école.
« A-t-on idée ? » se plaignait madame Angèle l’épicière, qui aurait bien voulu fermer boutique.
L’heure tournait, mais le soleil ne bougeait pas, ou plutôt, notre planète s’était arrêtée de tourner. N’était-ce pas ce que le maître avait aujourd’hui expliqué à l’école à tous ces gamins le nez en l’air à contempler soleil d’un côté, lune de l’autre.

Le temps semblait bien long tout à coup, et bien pesant. La nuit ne viendrait-elle jamais ? Aurait-on quelques heures de repos avant demain ? Comment ferait-on la différence entre aujourd’hui et demain ? Et l’on était déjà nostalgique en pensant à la journée d’hier, à la veille au soir, à la nuit précédente.

Parfois la lune tardait à se retirer au matin, mais elle s’effaçait discrètement quand le soleil réveillait ses feux. Parfois, tandis qu’il tardait à gagner l’horizon et s’enveloppait de sa robe pourpre, elle risquait un peu plus d’éclat et dévoilait sa blanche douceur.
Mais aujourd’hui, leur jeu théâtral d’entrée en scène et de sortie de scène avait changé. Le rideau de la nuit ne tombait plus. Les spectateurs s’en étonnaient. Il leur tardait que la pièce fût finie pour rejoindre leur demeure. L’un baillait et se frottait les yeux. L’autre sentait ses paupières s’alourdir. Le temps pesait sur leurs épaules à tous.

Il restait indifférent à cette effervescence, à l’agitation dont il était responsable.
« Je suis d’avis qu’il va se fatiguer, tout rond qu’il est, en équilibre sur la ligne d’horizon. C’est malcommode et il pourrait rouler s’il n’y prend garde. Il ne tiendra pas jusqu’au matin ». C’était l’avis de quelques-uns, mais ils sortaient du bar et on ne prêtait pas attention à leurs propos.

Il se disait : « Il faut que je sois raisonnable. J’ai travaillé tout aujourd’hui douze heures de temps à rayonner sur les labours, les champs et les vignes et j’ai une autre journée qui m’attend ce soir pour douze heures encore de l’autre côté de la terre ».
Il pensait aussi : « Ces enfants m’ont vu tout le jour au-dessus de leur tête. Il est vrai qu’il faut qu’ils rejoignent leur lit ».

Le vent siffla un petit air tranquille, une brise du soir légère et joyeuse. Le soleil s’enveloppa d’un nuage rouge et or, jeta des violets et des bleus empourprés dans le ciel et disparut.


Leur ballon, rond comme lune et soleil, s’était endormi au pied d’un arbre.